Zoé leur ouvrit la porte. Avant même de les accueillir, elle poussa un cri :
– Ce sont eux !
Puis elle éclata en sanglots.
Allyre et Champoiseau passèrent la tête par la porte du salon, ainsi que le chien Hugo.
Ils eurent besoin d’un remontant pour fêter le fait de se retrouver tous sains et saufs après un tel carnage, puis Fortuné prit la parole :
– Nous ne devons pas nous en vouloir. J’ai été empêché d’intervenir à temps par une cause que nul n’aurait pu prévoir. Et Théodore a contribué à éviter un massacre qui aurait pu sans doute être plus grave encore… Auriez-vous quelque chose à manger, Zoé ?… ou pouvons-nous aller chercher quelques plats dans un restaurant ?…
– J’ai tout ce qu’il faut dans la cuisine. Je ne suis pas restée inactive en vous attendant, répondit-elle avec un sourire. J’ai juste besoin d’un petit coup de main.
Plusieurs l’accompagnèrent dans la cuisine et en revinrent les bras chargés de victuailles, auxquelles ils s’attaquèrent goulûment. Il était près de six heures du soir.
Fortuné, Théodore, François, Héloïse et Corinne étaient impatients de savoir ce qu’étaient devenus Pépin et Boireau. Mais plus impatients encore étaient les autres d’apprendre ce que leurs trois compagnons avaient fait et vu dans l’immeuble du 50 boulevard du Temple.
Les Bureau et Champoiseau écoutèrent le récit de l’attentat, des arrestations dans la cour, des libérations par Vidocq et de la visite au docteur Labrunie, en ponctuant le récit d’exclamations incessantes.
– Quel misérable, ce Bescher ! conclut Champoiseau. Sacrifier tant de vies pour se débarrasser d’un roi ! Si je le tenais, je ferais éclater sa tête comme une coque de noix !
– C’est ce qui est arrivé en partie, dit Fortuné.
– Et c’est comme cela qu’il finira, ajouta Héloïse, ainsi que Boireau, Pépin et leurs complices quand la police leur mettra la main dessus.
– Quoi qu’il en soit, reprit le vieil homme, nous étions prêts de le saisir. Je ne sais pas s’il doit remercier Dieu ou le maudire que nous n’ayons pas arrêté sa main plus tôt, mais il ne s’en est fallu que d’un cheveu. Si Théo n’avait pas détourné le tir de la machine, si le roi avait été tué, Paris compterait à cette heure des centaines ou des milliers de morts. Des émeutes auraient éclaté dans les quartiers. L’armée et la Garde nationale n’auraient eu qu’à quitter les trottoirs des boulevards pour se ruer au combat et massacrer des pauvres gens.
Un silence suivit l’évocation de ce qui aurait pu être en effet une seconde véritable boucherie dans la capitale, déclenchée par les passions que la mort du roi aurait libérées.
Chacun des amis redéroulait dans son esprit le fil des événements, cherchant le moment où ils auraient pu agir autrement et empêcher l’effusion de sang. Mais Fortuné savait qu’il ne servait à rien de ruminer ce genre de pensées.
Héloïse porta soudain ses mains sur la tête de Fortuné qui eut un mouvement de recul :
– Que fais-tu ?
Tu as une méchante bosse, répondit-elle en touchant une belle pomme de chair derrière son oreille, ce qui lui arracha une grimace.
– Un coup de crosse reçu dans la cour quand j’ai retrouvé Théodore…, se rappela Fortuné en adressant un sourire à la jeune femme. – Et vous, Pierre… Quelles nouvelles de notre « ami » Pépin ?
Le regard de François s’emplit d’inquiétude. Le jeune épicier resta suspendu aux lèvres de Champoiseau qui se cala dans son fauteuil.
– Notre « ami » m’a bien fait balader. Ce matin, il s’est levé vers six heures. Je somnolais en face de chez lui, dans l’atelier d’un artisan qui tolérait ma présence contre des espèces sonnantes et trébuchantes. Hugo a entendu Pépin claquer sa porte au petit matin et m’a tiré de mon demi-sommeil. L’épicier s’est rendu place de la Bastille et est monté dans un fiacre. J’ai eu toutes les peines du monde à convaincre un autre cocher de m’embarquer avec Hugo. Il m’a fallu payer d’avance la course, et un bon prix encore ! Bref, il m’a déposé quelques minutes plus tard rue de l’Estrapade, où Pépin venait d’entrer dans une boutique. Vingt minutes plus tard, il ressortait en compagnie d’un homme d’une trentaine d’années(1). Ils se séparèrent aussitôt et Pépin a poursuivi sa route dans le faubourg Saint-Jacques.
Champoiseau but une gorgée de vin car parler lui donnait soif.
– Il s’est arrêté à deux reprises dans des cafés où il a rejoint des ouvriers et a aussi pénétré dans un immeuble de la rue Saint-Jacques. Chaque rencontre a duré un quart d’heure. Cela sentait les préparatifs de soulèvement à plein nez. Puis il a sauté à nouveau dans un fiacre. Là, j’ai bien cru l’avoir perdu, car je n’ai pas trouvé une voiture tout de suite. Quand enfin je tombai sur un cocher libre, je lui donnai mes dernières pièces pour me conduire rue du Faubourg Saint-Antoine, espérant que Pépin serait retourné chez lui. J’arrivai juste au moment où, rasé de près et vêtu de neuf, il sortait de son immeuble. Et là, vous ne devinerez jamais où il s’est rendu !
Champoiseau dévisagea un à un les membres de son auditoire.
– Au commissariat de police !
– Pour dénoncer Bescher !, dit aussitôt Corinne.
– Pour me dénoncer…, prononça avec difficulté François qui était maintenant sûr qu’il ne reverrait pas l’épicerie de sitôt.
– Ni l’un ni l’autre, répondit Champoiseau. Car si cela avait été le cas, des agents auraient aussitôt filé 50 boulevard du Temple. Quant à toi, François, je crains que ton patron n’ait d’autres chats à fouetter en ce moment…
– Il voulait peut-être se couvrir en faisant croire qu’il n’était pas à la revue de la Garde ce matin, dit Allyre.
– Oui, c’est ce que je pense, ajouta le vieil homme. Il a dû trouver une raison ou une autre pour se montrer au commissariat. Il en est ressorti au bout de cinq minutes et s’est dirigé vers le boulevard du Temple. Je l’ai perdu de vue rapidement, éreintés que nous étions Hugo et moi, d’avoir couru depuis le lever. Je m’en veux, mais je n’en pouvais vraiment plus.
– Ne vous en voulez pas, Pierre, enchaîna Fortuné. Ce que vous avez fait est formidable. Et, rassurez-vous, Pépin ne se trouvait pas aux premières loges lors de l’attentat. Il n’y en avait qu’un et c’était Bescher. En tout cas, aucun d’entre nous n’a vu Pépin boulevard du Temple.
– Si j’étais plus solide, nous saurions où il se cache maintenant, insista Champoiseau.
– Je vous parie qu’il ne va pas courir longtemps, dit Héloïse en posant une main sur le bras du vieil homme.
– De mon côté, ajouta Allyre, je n’ai pas été beaucoup plus chanceux avec notre « ami » Boireau qui lui aussi a eu maille à partir avec la police…
– Hein !, s’exclama Fortuné. Comment cela ?
– J’étais posté la nuit dernière dans une chambre d’hôtel, presqu’en face du 77 rue Quincampoix, la demeure de Boireau qu’il avait rejointe après son altercation avec Bescher au Café des Mille colonnes. J’avais décrit le bonhomme à deux hommes logés dans l’hôtel n’ayant apparemment rien de mieux à faire que de gagner un peu d’argent en me rendant service. Il faisait à peine jour ce matin lorsqu’ils m’ont réveillé. Je me retrouvai sur le pavé prêt à courir derrière Boireau lorsque je le vis revenir vers moi. Ce n’était pas une ruse de sa part. C’est plutôt qu’au bout de la rue arrivaient deux sergents de ville.
– Qui venaient pour lui ? ne put s’empêcher d’interrompre Fortuné.
– Oui. Ils le virent, hésitèrent un instant, mais ne le poursuivirent pas. Sans doute ne connaissaient-ils pas son visage. Mais ils ont pénétré directement dans son immeuble en espérant sans aucun doute l’appréhender chez lui. Pendant ce temps-là, il avait déjà filé dans l’autre direction.
– T’a-t-il vu ? demanda Théodore.
– Il m’a croisé en me jetant un drôle de regard, comme s’il me soupçonnait moi aussi d’être venu pour l’arrêter. Mais il est passé sans rien dire.
– La police savait ! dit Fortuné, résumant ce dont tout le monde dans la pièce avait pris conscience.
– Ce n’est pas possible !, dit Héloïse. Elle n’aurait pas laissé faire ! Comment aurait-elle su ?
– Par une dénonciation, répondit Allyre.
– Ou alors Boireau a trop parlé autour de lui et c’est remonté jusqu’aux oreilles de la Préfecture…, avança Héloïse. Je n’en reviens pas que cela se soit joué à quelques secondes. Un instant plus tôt, les agents l’auraient coincé et…
Elle ne termina pas sa phrase.
– Voilà la preuve, ajouta Champoiseau, que la Préfecture n’a pas été plus douée que nous dans cette histoire.
– En réalité, dit Fortuné, s’il est clair qu’elle a identifié Boireau juste avant l’attentat, rien n’indique qu’elle ait fait de même pour Pépin et Bescher… ou alors je n’y comprends plus rien… Que s’est-il passé ensuite, Allyre ?
– Pendant quelques secondes, je pensais alerter les deux agents, mais il était déjà trop tard, il aurait filé. Je me suis également souvenu de nos échanges sur l’efficacité de la Préfecture de police. Bref, je lui ai emboîté le pas.
– Et il va vous dire comment il a procédé pour ne pas se faire repérer ! dit Champoiseau avec un sourire énigmatique.
– Boireau a pris la rue Saint-Martin, continua Allyre. Il ne cessait de se retourner, ce qui m’obligeait à garder une grande distance. À ce rythme-là, j’allais le perdre de vue. Tout à coup, je vis sur la gauche l’église Saint-Méry. Je pariai que Boireau poursuivrait sa route tout droit dans la rue des Arcis et je me précipitai à l’intérieur de l’église.
– Pour prier le Saint-Esprit ? demanda Héloïse.
– Non, mieux que ça. Pour me procurer une soutane.
– Et comment se procure-t-on une soutane ? questionna encore Héloïse.
– Rien de plus simple quand une messe est en cours et que la sacristie est restée ouverte… ce qui était le cas. J’en profitai pour emprunter aussi un chapeau et un bréviaire. Les quelques personnes qui m’avaient vu pénétrer dans la sacristie furent rassurées quand elles me virent ressortir habillé de la sorte. Je leur adressai un sourire imprégné de pensées profondes et pris mes jambes à mon cou.
– Allyre, tu es digne de nous !, dit Fortuné.
François ne perdait aucune miette du récit. La bouche ouverte et les yeux fixés sur Allyre, il devait estimer que cette filature valait bien une aventure de son héros préféré.
Allyre ne se laissait pas distraire.
– Je vis Boireau cent mètres devant moi. Avec sa redingote verte et son pantalon blanc, il était difficile de le manquer. Il était toujours aussi nerveux, mais, avec ma nouvelle tenue, les yeux plongés dans mon bréviaire, j’osai me rapprocher de lui. Après un moment, je me débarrassai de ma soutane qui aurait fini par éveiller sa curiosité. Bref, je ne vous raconterai pas tout, car il ne s’est rien passé de remarquable. Il s’est rendu dans plusieurs cafés et à plusieurs adresses – que j’ai toutes notées – avant, en fin de matinée, de rejoindre les boulevards avec quatre de ses connaissances. Ils ont discuté, puis Boireau s’est dirigé avec l’un d’eux vers le 50 boulevard du Temple. Ils sont restés quelque temps devant le café Périnet et ont repris leur marche. C’est à ce moment-là que nous vous avons vus, Bescher et toi, Fortuné. Boireau s’est ensuite posté à quelques dizaines de mètres, attendant le passage du cortège. Quand la machine infernale a craché ses balles, je l’ai perdu définitivement de vue. Lorsque j’ai enfin pu m’approcher de l’immeuble de Bescher, il était déjà contrôlé par les agents. Ne vous voyant nulle part, je suis revenu ici.
– Bravo Allyre ! dit Fortuné. Dès que nous aurons une autre filature, nous penserons à toi ! Bon. Si Boireau et Pépin n’ont pas été pris depuis par la police, il est probable que ni l’un, ni l’autre ne remettra les pieds chez lui de sitôt. Je ne vois pas ce que nous pouvons faire… Il y a aussi ce quatrième homme que Bescher a rencontré rue d’Angoulême juste avant l’attentat. Tu l’as vu, toi aussi, François ?
– Oui, répondit le jeune épicier. C’est lui dont je vous avais parlé. Il venait souvent voir Pépin ces derniers temps, mais j’ignore son nom.
– C’est donc bien un autre complice, sauf coïncidence extraordinaire…
Fortuné se frotta les yeux et bailla longuement, pris d’une grande fatigue. Une dernière chose l’inquiétait :
– Théo, as-tu donné ton nom à la police dans la cour, rue des Fossés-du-Temple ?
– Non. Un sergent me l’a demandé à plusieurs reprises, mais je l’ai envoyé balader. J’étais tellement irrité que l’on me retienne sous la menace d’une arme, après ce que je venais de faire… Je voyais aussi la brutalité avec laquelle les soldats traitaient les gens de l’immeuble. C’était insupportable.
– Parfait, reprit Fortuné. Je ne crois donc pas me tromper en disant que je suis le seul à avoir laissé mon nom à la police. En fait, j’ai seulement dit à un sergent que je travaillais au Bureau Veritas. Mais ils n’auront aucun mal à me retrouver s’ils s’intéressent à moi… Demain, après être passé à Veritas, j’irai me présenter à la Préfecture. Je n’en ai pas la force ce soir. Et puis j’ai besoin de réfléchir à une version des faits qui ne nous mette pas tous en cause.
Plus la perspective de retourner à Veritas se précisait, plus Fortuné appréhendait l’accueil qui l’attendait là-bas. Il ne pouvait pas faire attendre davantage Charles Lefebvre.
Il s’apprêtait à se lever pour prendre congé lorsque Corinne posa une question qui surprit tout le monde :
– Ainsi, Pierre, vous m’espionniez chez Baratte ?
Le vieil homme aurait pu se montrer ennuyé. Il afficha au contraire un sourire :
– Je ne vous espionnais pas, Mademoiselle… Corinne. Je vous avais remarquée pour une bien bonne raison. J’avais une fille de votre âge qui vous ressemblait beaucoup.
– Vous parlez d’elle au passé, remarqua Corinne.
– Oui. Les soldats l’ont fusillée en juin 1832 le dernier jour de l’insurrection. Elle était ma seule enfant, termina Champoiseau sans pouvoir parler davantage.
Zoé profita du silence qui suivit pour aller chercher une bouteille d’eau de vie dont elle remplit généreusement tous les verres. Cela redonna des forces à Champoiseau qui ajouta :
– Lorsque vos amis m’ont appris il y a dix jours que vous aviez disparu, cela a été comme si je revivais la mort de ma fille.
Allyre voulut changer le cours de la conversation :
– Depuis quand, Corinne, es-tu avec les Républicains ? demanda-t-il.
– Cela remonte à novembre 1831. Camille Lemahieu – la camarade qui m’a mise sur la trace de Boireau – et moi vivions avec nos familles à Lyon, dans la commune de la Croix Rousse. Mon père était soyeux. Il faisait travailler plusieurs maîtres artisans canuts, dont le père de Camille. Les soieries sont un produit de luxe et leurs ventes ont toujours été variables d’une année à l’autre. 1831 était une mauvaise année. Les canuts ont demandé au préfet de limiter la baisse des prix. Mais certains soyeux dont mon père ont refusé d’appliquer les tarifs et de maintenir les salaires. Les canuts se sont soulevés le 21 novembre et ont marché sur Lyon. Vous savez la suite. En deux jours, ils étaient maîtres de la ville. La Garde nationale était passée de leur côté. Pour Louis-Philippe et ses ministres, les raisons de ce soulèvement n’étaient pas à chercher dans les conditions insupportables que vivaient les ouvriers et les canuts – travailler dix-huit heures par jour pour un salaire qui baissait d’année en année – mais dans une conspiration républicaine ou légitimiste. Ils envoyèrent une armée qui s’installa près de Lyon et attendit quelques jours que le mouvement pourrisse, ce qui arriva rapidement car le but des canuts n’était pas la révolution. Le préfet fut destitué, les tarifs annulés et les canuts se remirent au travail dans une ville occupée par la police et l’armée. Ce que l’on sait moins, c’est que la police régla ensuite leur compte à certains canuts qui avaient été des meneurs. Un soir de début décembre, Camille qui avait alors treize ans vint nous trouver car trois agents voulaient emmener son père, qui avait eu le pied écrasé pendant les émeutes. Mon père refusant d’intervenir, j’ai suivi Camille. Lorsque nous sommes arrivées, les policiers venaient de partir avec M. Lemahieu. La gouvernante (Camille avait perdu sa mère) terrorisée nous indiqua l’adresse du poste de police. Nous avions quelques pas quand nous avons entendu des hommes crier. Dans une traboule toute proche, les trois agents frappaient M. Lemahieu à mort. Nous accourûmes en criant, mais il était trop tard. Il ne respirait plus. Les policiers racontèrent qu’il les avait provoqués avec un couteau et avait tenté de s’enfuir. S’enfuir ! Avec un pied écrasé… Non, il était mort pour avoir défendu sa famille et celles de ses ouvriers quelques jours plus tôt. Mon père n’est même pas allé à son enterrement. La semaine suivante, je quittais ma famille et m’installais à Paris.
Corinne s’arrêta un instant et reprit :
– Peu après mon arrivée, je trouvai des cours de musique à donner à des jeunes filles. En soignant les malades du choléra en mai 1832, je fis la connaissance de Gérard Labrunie et de Théo… et aussi, je m’en souviens maintenant, d’un grand noir de la Nouvelle-Orléans venu étudier la médecine chez nous… Benjamin… Benjamin Janvier, je crois. Tu te souviens, Théo ?
– Oui. Il a failli y laisser la vie, comme nous d’ailleurs. Un sacré type. Je ne sais pas ce qu’il est devenu.
– Moi, continua Corinne, je sais que je tombai dans les bras de ce monsieur – elle désigna Théodore. La répression qui suivit l’enterrement du général Lamarque début juin me renforça dans mes convictions républicaines, que je me gardais bien de partager avec Théo.
Elle serra la main du jeune homme, comme pour se faire pardonner.
– J’adhérai à la Société des Droits de l’Homme et fis des séjours réguliers à la Croix Rousse pour seconder Godefroy Cavaignac et implanter des sections parmi les mutuellistes. L’an dernier, de nouvelles émeutes ont éclaté car les conditions économiques s’étaient bien redressées, mais mon père et les autres soyeux refusaient toujours d’augmenter les salaires. Des chefs de la Société des Droits de l’Homme m’ont demandé de ne pas retourner à Lyon pendant quelque temps. Je ne sais pas si la police m’avait repérée, mais mon nom commençait à circuler parmi les canuts et on craignait qu’il ne remonte jusqu’aux oreilles de ma famille. Je suis restée à Paris ces derniers mois… Voilà l’histoire.
Fortuné remercia Zoé et Allyre pour leur accueil et, une nouvelle fois, tous ses compagnons pour leur soutien lors de ces deux journées terribles qu’ils venaient de vivre. Il les pria de l’excuser et sauta dans un cabriolet qui le mena rue Grange-Batelière. Il tomba sur son lit tout habillé et dormit comme un plomb.

(1) : Selon l’écrivain Maxime du Camp (voir en annexe), il s’agissait du révolutionnaire Auguste Blanqui.