Vendredi 30 novembre
Nous sommes vendredi en début d’après-midi. Fortuné est introuvable depuis sa visite aux Riley hier. Je l’ai attendu en vain ce matin à son hôtel. Dans sa chambre que le directeur m’a ouverte sans difficulté, ses affaires étaient en ordre, mais pas apprêtées pour un départ. Aucun membre du personnel ne se souvient l’avoir vu hier ou aujourd’hui.
Sur la table de sa chambre, j’ai trouvé son récit. J’ignorais qu’il avait entrepris ce travail d’écriture.
En fin de matinée, j’ai visité Mrs Riley qui n’a pu m’apporter d’informations rassurantes. Elle dit que Fortuné est arrivé hier vers cinq heures et est reparti une heure plus tard. Elle paraissait fatiguée et n’a pas donné d’autres détails sur leur entrevue. Je suis également passé interroger Charles Darwin (je l’ai trouvé chez lui juste avant qu’il ne parte pour Shrewsbury), le personnel de l’Athenaeum et le patron du Red Lion, sans résultat. Charles fut étonné que Fortuné ne soit apparemment pas reparti à Paris et il est inquiet lui aussi. Je lui ai conseillé de rester Great Marlborough Street pour le cas où Fortuné chercherait à le rencontrer. J’ai moi aussi regagné pour l’instant mon appartement.
Ne sachant que faire d’utile dans l’immédiat, je me suis autorisé à lire et poursuivre le récit de mon ami, ayant pris la précaution d’emporter les pages trouvées dans sa chambre afin qu’elles ne tombent pas dans n’importe quelles mains. J’ai espoir qu’il sera très bientôt de retour et qu’il pourra leur apporter une touche finale.
Après notre discussion hier après-midi avec Charles Darwin au Red Lion, Fortuné a regagné son hôtel pour transcrire cette discussion incroyable que nous avons eue tous les trois et je vois qu’il n’en a perdu aucune miette.
Puis il s’est rendu chez les Riley. Selon ce que m’a rapporté Mrs Riley, il tenait à leur rapporter les derniers éléments de l’enquête avant de regagner Paris. À mon grand étonnement, elle n’a pas été plus précise malgré mes nombreuses questions – elle est à ma connaissance la dernière personne à avoir vu Fortuné hier soir. J’ai compris qu’elle ne souhaitait pas avoir une longue conversation avec moi et ne m’en apprit guère plus que le fait qu’elle avait fait appeler un cabriolet vers six heures trente et qu’elle n’avait pas revu Fortuné depuis. Elle n’avait pas remarqué quoi que ce soit de particulier quand il l’avait quittée.
Avait-il eu, dans un autre pub, un nouvel excès de cette mélancolie qui lui avait déjà fait perdre ses repères mercredi soir au Red Lion ? J’en doutais. Nous sommes maintenant en début d’après-midi et son absence est certainement liée à un motif plus grave.
Je relis les deux pages et demie que je viens d’écrire et je mesure leur inconsistance. Elles risquent fort d’atterrir dans la poubelle.
Attendons tout de même de voir quels événements nous promettent les prochaines heures.
Fort de mon impuissance et me souvenant des paroles de Fortuné lorsqu’il explique que c’est souvent en prenant le temps de relire et de relier des évènements que des fils jusqu’alors invisibles apparaissent, je tente une nouvelle lecture des dernières pages de son récit et du mien.
Et en effet, un ou deux détails m’intriguent, qui ne sont peut-être pas des détails.