Les deux hommes partageaient un air de famille et même plus : une ressemblance étonnante. Même taille, même teint de peau, même carrure, même front haut au-dessus d’une masse de sourcils qui surmontaient des yeux inquiets. Celui qui portait la barbe était richement vêtu, l’autre de manière beaucoup plus simple.

Dans la maison de maître de cette vallée du Yorkshire, ils échangeaient depuis trente minutes des bribes de phrases interrompues par de grands silences. Régulièrement, la tension montait et redescendait.
L’enjeu de la discussion était la gestion de la fabrique qui se situait non loin. Un homme accusait l’autre de vouloir l’en écarter, tandis que l’autre faisait valoir son bon droit d’être directeur et de mener l’affaire comme il l’entendait.
Les silences étaient longs et terribles. Après chacun d’eux, la dispute reprenait de plus belle, signe que les deux hommes pouvaient avoir également raison et tort.
Dehors, le soleil commençait à disparaître derrière les hauteurs et la beauté de cette soirée de juillet 1836 rendait cette confrontation d’autant plus violente.
Une jeune femme assistait à la scène, renvoyée à l’autre bout de la pièce par un regard ou un geste rageur quand elle tentait de s’interposer. À chaque signe d’apaisement, elle reprenait confiance, mais c’était toujours de courte durée. Elle connaissait trop bien l’histoire des deux hommes pour croire réellement qu’ils arriveraient à s’entendre. Elle attendait le moment où, épuisés, ils repartiraient chacun de leur côté.
Mais l’un sauta tout à coup à la gorge de l’autre, l’enserrant dans une étreinte dont la soudaineté et la force les surprirent tous les deux.